Delphine Cohen, ou la vie des marques de beauté et conso révélée à travers un miroir

par | 19 mars 2021 | 0 commentaires

Avant de fonder ta propre entreprise, tu as été salariée pendant plusieurs années en tant que directrice d’études, chez l’institut Ipsos notamment. A quoi correspond ce métier, qui a fait de toi désormais une femme entrepreneure ?

Après des études de marketing et de sociologie, je me suis spécialisée dans les études qualitatives pour les marques en travaillant notamment pour Ipsos, qui est surtout connu du grand public pour ses sondages. Mais là, on utilise plutôt des entretiens en face à face ou des focus groups.

C’est quoi, un “focus group” ?

C’est un peu comme dans Mad Men (rires). Ça a été inventé vers les années 60 aux Etats-Unis. Le principe est simple : on réunit des personnes qui correspondent à une “cible” clientèle dans une salle, avec une glace sans tain. Un animateur pose des questions, demande à ces acheteurs, ces consommateurs ce qu’ils pensent du produit, de telle innovation ou telle idée, etc. Le métier de l’animateur consiste alors à poser les bonnes questions, recueillir les avis et en faire une synthèse qui aidera la marque à améliorer son produit, se démarquer des concurrents, etc. Plein d’innovations, des plus utiles aux plus loufoques, me sont passées entre les mains lors de ce type d’événement. Parfois le client, par exemple un responsable marketing, un chef produit de la marque, se tient en coulisses derrière le miroir. Il observe et écoute les remarques, et ça permet d’apprendre beaucoup de choses.

Et si les consommateurs trouvent que le produit est vraiment nul, ou que telle idée ne tient pas debout ? Quand les critiques ne sont pas tendres, ton client derrière la vitre doit être à deux doigts de manger son chapeau, non ?

On a effectivement vu passer des concepts de produits tordus (rires) ! Je suis contrainte à une certaine confidentialité, donc impossible de dire de quelle grande marque il s’agirait. Mais on sait parfois le résultat à l’avance. Avant même l’organisation du focus group, tu sais quand un produit bizarre, que personne n’attend, a très peu de chances de marcher. Mais ce n’est jamais facile à entendre ni à accepter pour une marque. Alors elle a besoin d’un avis de consommateurs. Et là, ton client doit accepter de prendre en pleine figure l’accueil glacial des personnes qui donnent leur avis dans la pièce. C’est d’autant plus dur quand ton client a mis du cœur, de l’amour (ou tout simplement beaucoup investi) dans son produit.

Avec la crise sanitaire liée au Covid-19, on a assisté à l’explosion de la visioconférence et de nombreux métiers ont dû changer leur pratique. On a arrêté d’organiser des réunions et les rendez-vous physiques sont devenus rares. Cela a impacté ton métier ?

Avant l’épidémie du Covid-19, on faisait parfois des “workshops d’innovation” pour les entreprises. Voilà l’idée : dans un lieu sympa, pendant un jour ou deux, on fait rencontrer les équipes marketing d’une marque avec des clients, et on les invite à réfléchir autour de leur stratégie.. Mais ça, c’était avant ! En 2020, la crise sanitaire a obligé le métier à être créatif pour s’adapter. Le digital et le télétravail se sont ancrés dans le quotidien. Les rencontres se sont faites plutôt en visioconférence, dans des formats découpés et beaucoup plus courts (ex:  des séances de 1h30 à distance au lieu d’une journée sur place), pendant lesquelles on progresse avec le client par itération, de session en session. Cela apporte moins de choses, car on n’a pas la chaleur, la spontanéité d’un rapport humain, d’une vraie rencontre physique. Mais d’un autre côté, le numérique a apporté des opportunités.

C’est-à-dire ? En quoi internet a facilité les choses ?

Le digital a ajouté davantage de fluidité et d’agilité. Il a permis depuis plusieurs années l’émergence de communautés de clients avec qui on peut discuter, échanger. Grâce à sa webcam ou son mobile, n’importe quel client d’une marque peut se filmer en vidéo pour partager un témoignage, un avis, une critique ou une suggestion d’amélioration. Il y a quelques années, les marques étaient frileuses dans l’utilisation du digital. La crise du coronavirus a changé les choses. Des millions de gens se sont mis au télétravail, ont bousculé leur quotidien… A tel point que pendant le confinement en 2020, certaines marques ont proposé à leurs clients de se filmer. Non pas pour parler de leur utilisation des produits, mais simplement pour raconter leur vie confinée. Et ça s’est fait massivement, les gens ont joué le jeu à 200%.

En quoi cela a changé leur rapport aux marques ?

De nombreux internautes ont partagé leurs états d’âme, leurs coups de blues…Cela a créé un autre rapport avec les marques. Même si la plupart d’entre elles doivent encore apprendre à aller à la rencontre de leur client. Parce que cela demande beaucoup de franchise et d’honnêteté. Le numérique accélère les choses. Surtout avec l’arrivée de nouveaux outils d’intelligence collective, tels que Mural (un grand tableau blanc virtuel). Mais je reste convaincue que le face à face reste très intéressant pour cet exercice..

Chez Ipsos, tu as beaucoup travaillé en France et à l’international, côtoyé des freelances… Qu’est ce qui t’a attiré dans leur mode de vie, au point de vouloir toi aussi voler de tes propres ailes en créant ton cabinet d’études marketing ?

Effectivement, à force de voyager, j’ai constaté que le recours aux freelances pouvait être quelque chose de banal et très fréquent, par exemple aux Etats-Unis ou au Brésil. Bien plus qu’en France ! Ce qui m’a plu dans le mode de vie des indépendants, des entrepreneurs, c’est l’idée du choix. Cette possibilité de moins subir l’organisation imposée par ton employeur, pour arbitrer entre vie pro ou perso.

Je suis maman de 2 enfants et à la naissance de ma première fille, j’ai dû voyager énormément, toujours d’un vol à l’autre entre la Chine, l’Europe, les Etats-Unis et le Moyen-Orient… J’ai alors décidé de changer d’entreprise pour moins me déplacer. Mais j’ai fini par m’ennuyer. Je suis quelqu’un qui a besoin de stimulation… Je déteste la routine ! Alors quand ma deuxième fille est née, sa naissance a été un déclencheur. Après mon congé maternité, je ne me sentais plus capable de revenir à la vie d’avant. Je vivais une quête de sens, comme en connaissent beaucoup de salariés. Je précise que j’adorais mon métier ! Mais j’avais envie de travailler pour des clients choisis, qui respectaient mes valeurs. Je voulais être libre de donner la priorité aux marques et aux univers qui m’intéressaient. D’où la création de mon agence d’études marketing Tell Me More.

Créer son entreprise est une démarche intimidante pour la plupart des salariés. Comment as-tu franchi le pas ? Avec le recul, qu’est-ce qui t’a surpris (ou pas) ?

Ce qui me faisait peur, c’était l’administratif ! J’étais inquiète rien qu’à l’idée de gérer des aspects juridiques, etc. Je me suis rendu compte que ce n’était pas si difficile. Mais je n’ai pas fait le saut du jour au lendemain. Tout en étant salariée, j’ai cherché à consolider mon expérience, à développer mon réseau professionnel… Je ressentais le besoin d’être légitime pour passer à mon propre compte. J’ai pris le temps nécessaire selon moi pour construire cette confiance.

A-t-il fallu du temps pour démarrer et faire du chiffre d’affaires ? Comment trouves-tu tes clients ?

Déjà, je n’aurais pas commencé l’aventure de l’entrepreneuriat sans au moins un ou deux clients. Certains m’ont suivi lorsque j’ai quitté mon poste. Cela m’a permis de réaliser un petit chiffre d’affaires dès le départ, et de constituer une trésorerie. Il m’a fallu aussi consacrer du temps à la mise en place d’une communication autour de ma propre marque. Je ne voulais pas me positionner comme simple freelance, mais comme agence. En parallèle des missions à réaliser, j’ai donc dû tout construire moi-même, mon logo, ma marque… Au bout de quelques mois, le fait d’avoir un site web s’est imposé, pour montrer mon offre. Mon conjoint développe des applis mobiles et m’a donné un coup de main. Le blog est arrivé ensuite.

Avant l’arrivée de ton blog, tu as commencé à communiquer surtout sur Linkedin. Comment vois-tu la synergie entre ce réseau social et ton site web ?

Le blog démarre, donc c’est encore un peu tôt pour savoir ce que ça donnera. Je me suis créé un planning éditorial pour faire au moins 2 posts importants par mois sur Linkedin. Je fais par exemple des posts de vulgarisation qui expliquent un terme de mon secteur d’activité, à l’intention des marques. Les posts pointent vers mon site, où elles peuvent en savoir davantage sur mon offre de services.

Sais-tu où en est ton trafic, avec Google Analytics ou autre ?

Non, pas encore, à vrai dire je n’ai pas construit le site dans une optique de SEO, référencement, etc. Déjà, l’objectif c’est de sortir de Linkedin ! Le réseau social me sert à démarrer une discussion sans faire de la vente. Je ne m’imaginais pas en commerciale en train de faire du porte à porte ou du phoning, et partager mon expérience sur un réseau social est une bonne façon de me faire connaître. Mesurer le trafic en détail viendra progressivement.

En guise de conclusion, comme ton expertise est liée à l’analyse des tendances et des marchés, sur le secteur beauté par exemple, que peux-tu nous partager comme constat, comme conseil aux entrepreneurs ou aux marques ?

Il est important d’être à l’écoute des tendances, même si cela n’impactera  pas immédiatement la stratégie de la marque comme dans le luxe. Ce qui est sûr, par exemple, c’est que les consommatrices s’informent de plus en plus entre elles grâce à internet. Elles peuvent facilement vérifier ou partager une information. Une conséquence est l’envie d’authenticité, avec un discours vrai autour de produits sains. Donc il faut apprendre à aller au contact de son public, encourager les témoignages de client(e)s, etc.

Quelques mots sur Didier Castelnau
Didier est un ancien journaliste et éditeur web. Il est "serial-entrepreneur" et accompagne des porteurs de projet et des entrepreneurs dans leur visibilité sur internet.

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